Pouilly sous Charlieu, gare de bifurcation PLM
Située au Point Kilométrique (PK) 18,3 de la ligne Roanne-Paray le Monial ouverte en 1882 (59 km), la gare de Pouilly-sous-Charlieu doit véritablement toute son importance à l’ouverture de la ligne de Chalon sur Saône en 1889, dont elle devient ainsi la tête de ligne (116 km).
En tête de son train arrivé de Paray-le-Monial, une 030 Bourbonnais stationne sur voie 2. Au travers de la tenue des personnels se profile la stricte hiérarchisation des tâches et des grades en vigueur dans la famille PLM en 1900 : gilet et noeud papillon pour l’Aiguilleur Jean Biosset à gauche, vareuse à deux rangées de boutons pour trois Agents Supérieurs (dont le Chef Edmond Bottiau de profil au premier plan), veste simple pour les Commis aux Ecritures et Hommes d’équipe, blouse pour le lampiste et l’équipe de conduite. Le mécanicien J. Teilhol arbore toutefois un chapeau à bords protecteurs, ce qui le démarque de ses collègues astreints au port de la casquette.
Situées entre Loire et Saône dans les doux vallonnements de la Bourgogne méridionale, ces deux lignes à voie unique sont ouvertes le 1er juin 1882 entre Roanne et Paray, le 20 octobre 1888 de Cluny à Chalon et le 1er mars 1889 de Pouilly à Clermain. Entre Clermain et Cluny, les trains suivent en tronc commun la ligne Paray-le-Monial à Macon ouverte en 1870. Si la ligne de Paray suit un tracé peu accidenté en bord de Loire (rampes maxi de 8mm/m), il n’en va pas de même entre Charlieu (PK 5,9) et Clermain (PK 55,7) où le relief du Charolais impose un parcours plus sinueux, quelques tunnels et des déclivités pouvant atteindre 20 mm par mètre.
Vue du raccordement des voies en direction de Roanne. On distingue une 230 A qui s’apprête à refouler en gare tender en avant, à la hauteur du PN 18 dit de « la volante » (PK 18,035). Implantées sur la rue du port, ses barrières sont relevées depuis le PN 19 – à la demande des usagers actionnant une cloche de bronze – grâce à des filins d’acier de 150 m de long courant le long du talus. A noter par ailleurs au fond l’imposant échafaudage en treillis de bois destiné à protéger les lignes téléphoniques d’une éventuelle chute d’un câble de la ligne haute tension surplombant la voie. En bordure de cette dernière sera construit en mars 1938 le bâtiment de l’Amicale laïque.
Au premier plan François Dupont (1869-1962), médecin de la localité (son fils Abel -1901/1942 – y sera aussi médecin et Président de la Société Nautique), regagne son domicile proche en franchissant le PN 19, après avoir accompagné au train 2752 de 15H07 son épouse Françoise partie faire ses emplettes à Roanne. Nous découvrons la gare assoupie entre deux trains en cette mi-journée de l’été 1910, soit de gauche à droite : la halle Petite Vitesse, la voie 1, l’abri de quai, la grue à eau capable de débiter 800 litres à la minute, la voie 2 et la voie « spéciale Chalon », le BV, l’édicule de nécessité et le jardin du chef de gare.
Les trois Services du chemin de fer : Exploitation, Matériel et Traction, Voies et Bâtiments. Le premier regroupe les agents des gares et des trains, à l’exclusion des équipes de conduite. Au deuxième sont rattachés les équipes de la Traction et le personnel des dépôts et ateliers. La VB enfin est responsable de tout ce qui ne roule pas.
Gare de « voie de gauche » : sur une ligne à voie unique, cette disposition permet de dédoubler la voie. Sur le PLM, les trains entrent en gare en prenant la voie directe de la première aiguille, c’est à dire la voie de gauche ; à l’inverse, la dernière aiguille est franchie en talon par la voie déviée, ce qui implique un passage à une vitesse réduite à 30 km/h.
Poste de signalisation (improprement appelé « poste d’aiguillage »): Edifice bas ou surélevé situé à l’entrée d’une gare et d’où l’on manœuvre à distance les leviers de commande des lames d’aiguilles et des signaux de protection . Le PLM utilise le système Vignier et le système Saxby, du nom de leurs inventeurs. La différence entre les deux appareils réside dans le mode des manœuvres des organes d’enclenchement (barres, taquets…) et leur action, le second permettant toutefois de concentrer plus de commandes. La garde d’un Poste est confiée à un agent du Service Exploitation.
Cloches d’annonce : Dispositif permettant d’assurer la sécurité d’exploitation sur les lignes à voie unique par des cloches électriques disposées soit en console murale (type Leopolder), soit sur colonne (type Siemens). Actionnés manuellement, ces appareils transmettent des signaux acoustiques à l’aide d’impulsions de courant continu fourni par des piles. Un nombre réglementaire de coups informe les agents des gares et les gardes des principaux passages à niveau de la circulation des trains : départ d’un train dans le sens pair ou impair, véhicules en dérive, arrêt général, annulation du signal précédent. Une liaison télégraphique – puis téléphonique – permet en outre aux agents des gares de s’assurer de l’espacement des trains, voire d’annoncer des circulations exceptionnelles (trains dits « facultatifs », machine HLP).
H.L.P. ou « Haut-le-Pied » : désigne la circulation d’une machine isolée.
Train M.V. ou Marchandises-Voyageurs. On dit aussi « train mixte ». Cette composition classique sur les réseaux à voie étroite, n’est utilisée que sur les petites lignes des grands Réseaux. Mais elle n’a pas la faveur du public qui lui reproche les trop longues attentes dans les gares durant les manœuvres de wagons.
« Train de bricole » ou « Patachon » : expressions désignant sur le PLM le train de marchandises AR qui collecte sur une ligne les wagons chargés et laisse des vides. Les manœuvres sont fonction de l’importance du trafic des gares et peuvent durer de 20 minutes à …2 heures.
Flot impressionnant que celui des quelques 300 employés sortant à midi de l’usine toute proche du tissage Bréchard, le panier du casse-croûte à la main (en 1906 la cité ouvrière regroupe 112 foyers, soit 353 habitants). En cas de fermeture de la barrière roulante, il n’était pas rare de voir des piétons l’ouvrir, peu désireux qu’ils étaient de battre la semelle devant le portillon réservé à cet effet. C’est ainsi qu’au soir du 4 février 1924 une ouvrière fut tuée par une locomotive circulant Haut-le-Pied. On tira les conclusions de ce drame en installant par la suite des barrières oscillantes.
* Carte réseau PLM à son apogée en 1924
Des installations fixes conséquentes.
Desservant une cité industrieuse de 2000 habitants (usines textiles, tuileries), la gare est implantée au sud de la rivière du Sornin, affluent de rive droite de la Loire. Formant un tronc commun depuis la bifurcation du Coteau (à 3 km de Roanne), la ligne se dédouble au-delà de ce cours d’eau, sur la commune de Saint-Nizier-sous-Charlieu. La voie est armée de rails Vignole en acier type PLM-A de 34 kg par mètre fournis par les usines d’Alais, Béssèges, Le Creusot, et Saint-Chamond).
Les besoins du trafic ont entraîné l’agrandissement des quais marchandises couvert et découvert dès novembre 1883 (soit un coût de 15 000 F). Mais c’est en vue de la réception de la future ligne de Chalon que les travaux engagés à l’automne 1887 donnent aux lieux leur physionomie définitive: Bâtiment Voyageurs du modèle 2ème classe (21 m x 8 m) agrandi de 9 m côté sud (y sont logés le Chef de gare et 2 Facteurs), adjonction d’un faisceau de trois voies de garage côté nord (voies 6, 8 et 10), création surtout d’un dépôt de machines du fait d’un rebroussement nécessitant le tournage, voire l’échange des locomotives, soit un coût total de 424 600F. C’est dans la courbe située entre le pont métallique de 30 m d’ouverture sur le Sornin (limite entre les communes de Pouilly et de Saint-Nizier) et le PN1 de la ligne de Chalon par Clermain qu’est aménagé ce Poste Traction avec remise à deux voies de 17,5 m de long, foyer et dortoir à 4 lits, pont-tournant à bras de 14 m, fosse à scories, grue à eau, le tout construit au printemps 1888 (installations démantelées à l’été 1949 car devenues sans usage par le service Traction). On a prévu large pour l’alimentation en eau, puisque c’est un captage de sources au bas du coteau de Saint-Nizier qui assure l’alimentation d’un réservoir maçonné de 3000 m3 creusé en novembre 1880 au-dessus du village dans la colline du Bois Laye. Une conduite de 1 544 m y refoule les eaux, lesquelles redescendent en gare au moyen d’une conduite de plus de 340 m de long. Outre les bornes fontaines, on trouve deux grues à eau en bout des quais des voies 1 et 2, et deux au dépôt (une près du pont tournant et une sous la remise, à l’abri des grands froids).
La Voie principale 1 est dédoublée en Voie 2 selon le type « gare voie de gauche », tandis que la voie 4 devant le BV est dite « Spéciale Chalon ». La gare de Pouilly étant point de bifurcation, est classée « d’arrêt général » ; de ce fait est-elle protégée par des signaux carrés à damier rouge et blanc implantés de part et d’autre de la BIFUR et du côté de Roanne. La manœuvre simultanée des signaux et des principales aiguilles est assurée côté sud par le Poste N°1 (type Vignier à 8 leviers), côté Nord par le Poste N°2 implanté au cœur de la Bifur (type Vignier à 15 leviers).
Pour ce qui est de la signalisation, la marche des trains est réglée par des cloches électriques type Leopolder installées sur Roanne-Paray dès 1884, en 1899 sur Pouilly-Clermain.
* PLAN DE LA GARE
Cette vue aérienne prise vers 1950 nous offre une vue plongeante sur la gare et l’usine Bréchard à gauche. On notera que la « voie spéciale Chalon » est encore en place devant le BV, franchissant au nord le Sornin sur le pont métallique déjà privé de sa seconde voie en 1943. C’est en juillet 1954 que cette voie sera supprimée à son tour, ainsi que le pont dont ne subsistera que le tablier aval de la voie Paray-le-Monial, toujours en place de nos jours.
Les hommes : un microcosme de la famille PLM.
Tous les services s’y côtoient, dans une convivialité renforcée par le relatif isolement de cette ligne un peu à l’écart. A l’Exploitation, on trouve 10 agents en 1882 (moyenne d’âge de 26 ans), 14 agents en 1901, chiffre ramené à 8 en 1906, mais 17 en 1921 et 6 en 1939 : un Chef de gare, 2 Facteurs, un Commis, un surveillant du Service électrique ayant en charge les cloches de signalisation et un aiguilleur (de 1889 à 1911, c’est Jean Biosset, puis Eugène Arnaud de 1914 à 1937 et enfin Antoine Pouilly). Les chefs de cette gare classée de 4ème classe ont laissé leur nom dans les mémoires tant à l’époque ils faisaient figures de notables. Pour beaucoup ce poste constituait leur « bâton de Maréchal » puisqu’ils y terminaient souvent leur carrière.
Un siècle de chefs de gare à Pouilly sous Charlieu
Provenance | Chef | Période | Destination |
Jean-Baptiste Humbert (né 1837) | Juin 1882-mars 1887 | Le Coteau | |
Louis Voisin (né 1844) | Mars 1887-14 avril 1899 | Décès | |
Vougy | Edmond Bottiau (né 1864) | 1899-1917 | |
Dunières | Emile Gilormini (1874-1947) | Août 1917-1er mai 1925 | Le Coteau |
St-Germain Lespinasse | Etienne Girard (né 1875) | 1925-1935 | Retraite |
Paul Masson (né 1886) | 1935-1939 | ||
Pont-Salomon | Pierre Besson (1890-1977) | Avril1939-décembre1948 | Retraite |
Claude Jacquis (1904-1980) | Janvier 1949-octobre 1955 | ||
Charlieu | Joseph Teyssot (né 1906) | Novembre 1955- 31 mars 1961 | Retraite |
Regny | Eugène Marius Claire (né 1921) | 1er avril 1961-15 septembre 1968 | Andrézieux |
Irma Brossette (née 1932) | Septembre 1968 – février 1989 | Retraite |
Personnel du Service Exploitation en 1904 :
Surpris sur le quai de la gare, voici en avril 1904 les 8 agents composant le Service Exploitation de la « Compagnie du Paris à Lyon et à la Méditerranée ».
Assis de Gauche à Droite, sont identifiés Louis Larose Facteur (32 ans) ; Claude Latreille Facteur (46 ans) ; Edmond Bottiau Chef de Gare (40 ans) ; Emile Romagny Homme d’équipe (24 ans).
Debout de Droite à Gauche : Antoine Audet Chef d’Equipe (41 ans) ; Jean Biosset Aiguilleur (48 ans) ; André Duverger Commis aux Ecritures (48 ans) ; Gilbert Driffort Commis aux Ecritures (31 ans) ; le mécanicien J. Teilhol et son chauffeur, burette à la main, tous deux en coupure au train de Chalon.
Le service de la Voie et des Bâtiments (VB) est sous la responsabilité d’un Chef de District qui à son bureau à côté du PN 19 (la maisonnette et son terrain seront vendus le 10 juillet 1968 à Jean Berthelier pour y construire sa station-service) : Etienne Monnet (né en 1859) Conducteur de la Voie du 1er juillet 1883 au 1er janvier 1887 (muté à Roanne) et du 1er avril 1900 au 1er octobre 1910 (muté à Clermont où retraité le 1er juillet 1921), puis Pierre Grosselin (né à Cublize en décembre 1876) Chef de District du 1er novembre 1910 au 1er octobre 1931 (retraite) ; Albert Germain (né à Valence le 2 novembre 1883), du 1er octobre 1931 au 1er janvier 1941 (retraite). Responsable de la Brigade de Pouilly confiée au Chef Louis Vial, il a aussi autorité sur celles allant jusqu’à Paray et à La Clayette.
Le District de Pouilly est supprimé en 1946, dès lors rattaché à celui du Coteau, lui-même coiffé par le Chef de District Principal de Roanne Maurice Chanard. Enfin, le Poste Traction (dépôt des machines) est administrativement rattaché au dépôt de Roanne, tout comme celui de La Clayette.
Une décennie après la nationalisation, le logo PLM reste présent sur ces lignes secondaires, même sur les vareuses d’uniforme qui ont gardé même coupe, même drap et parfois les mêmes boutons…sans oublier les tampons administratifs de gare toujours fidèles à la vieille maison. Les habitudes sont là aussi, comme celle de se retrouver au Café de la Petite Vitesse, route de Briennon, haut lieu stratégique (ancien Hôtel François Deville, par ailleurs Entrepreneur de Travaux Publics né en 1861, décédé en 1924 à Vichy).
Avec ceux de la brigade Voie et Bâtiments de Pouilly
En 1935, portrait de famille des poseurs de la Brigade VB de Pouilly-sous-Charlieu, devant le Poste N°2 de la BIFUR (type Vignier à 15 leviers). De gauche à droite : Jules Portailler (1896), le Brigadier Louis Vial (1886-1950), l’Aiguilleur-Chef Eugène Arnaud (1884) en poste dès 1911, Antonin Corneloup (1901), journalier, Louis Martin (1905), Bonnot et Jean-Marie Revret (1908), journaliers. On notera que Monsieur Arnaud sera remplacé comme aiguilleur, de mars 1937 à avril 1940, par un collègue au nom prédestiné…d’André Pouilly !
Louis Vial est responsable d’un canton allant de Vougy jusqu’à La Chapelle-sous-Dun, soit 25 km. L’hiver, il lui faut partir dès 4H du matin pour déneiger les aiguilles. Le dimanche, il y a un tour de rôle pour inspecter la section, avec fiche de contrôle à compléter et à déposer dans une boite placée à chaque extrémité…Sur les chantiers, il est très à cheval sur la ponctualité et interdit l’usage du vin. Pour les gros travaux, on regroupe plusieurs brigades renforcées par des journaliers, jusqu’à atteindre une centaine d’hommes. C’est ainsi que vers 1934 il participe à l’installation de traverses métalliques sur la section Pouilly-Paray, afin de renforcer l’armement de cette ligne classée « Stratégique » (elle permet de relier l’arsenal de Roanne aux usines Schneider du Creusot via Montchanin). Dans la difficile période des années trente, il n’est pas rare de rencontrer des vieux parcourant la ligne pour grappiller les scories et morceaux de charbon tombés des machines. Le chef de district Albert Germain ne tolère pas la présence de ces « indésirables » tandis que le chef Vial ferme les yeux tant que la sécurité n’est pas engagée. Il en fait de même pour les amateurs de gibier, n’étant pas lui-même chasseur…
Son épouse Jeanne (1892-1984) est garde-barrières. Chichement payée – une ouvrière du tissage Bréchard l’appelle par dérision « la quarante sous » – elle améliore l’ordinaire par des travaux de couture à domicile. Au PN 19 de la gare, son travail commence au train de 5 H et finit avec celui de 19 H. La garde de nuit est alors confiée à un auxiliaire dit « le veilleur ». Afin de ne plus être dérangé en soirée par ce dernier, Louis Vial lui construit en 1926 une guérite en bois placée de l’autre côté de la rue. Et c’est sur son insistance que la Cie accepte d’y installer en 1926 des barrières oscillantes à lisses. Ce qui n’est pas sans rapport avec la mort de Marie Lombard, 18 ans, tisseuse sortant de l’usine Bréchard, écrasée le 4 février 1924 à 18H30 au même PN par une locomotive en manœuvre. Elle était la tante de Jean Mont (1933-2021), figure locale bien connue.
L’opération est répétée au PN N°1 de la route d’Iguerande vers 1930, les 4 barrières à vantaux en étant trop longues à manœuvrer alors que la circulation des autos va déjà croissant.
La garde du PN 19 a aussi en charge « la volante », soit les barrières oscillantes du PN 18 actionnées par un treuil de 150 m de long. Chaque mois passe un Inspecteur qui vérifie les agrès de sécurité du PN (lanterne, drapeau, pétards, consignes) et questionne sur le Règlement. Une fois l’an, il y a surtout un « Essai des cloches d’annonce ». Une délégation de responsables du PLM y procède au très solennel contrôle des installations entre Le Coteau et La Clayette, opération terminée par un non moins rituel « gueuleton » dans un restaurant de cette dernière localité. D’après les souvenirs de Gabrielle Berthelier,(1922-2017) née Vial. 30 octobre 2002.
Une gare animée
On dénombre dans chaque sens 5 trains de voyageurs omnibus s’échelonnant entre 4H48 et 22H19, plus une desserte marchandises sur les deux lignes (une le matin, une en soirée, avec parfois des rames de cinquante wagons depuis Paray !). Les agents ne chôment pas : distribution des billets, enregistrement des bagages et colis, expédition, formation des rames, sans oublier notre lampiste responsable de 40 engins fixes. Il y a aussi les lampes à carbure individuelles qu’il faut regarnir tous les matins. Rappelons qu’à cette époque chaque agent doit être porteur d’un briquet pour rallumer, en cas d’extinction, les falots à pétrole équipant les queues de trains.
Notons que la machine du train arrivant de Chalon est coupée en gare, puis ravitaillée et tournée au dépôt. Au train du soir, son équipe y prend un repos dit « hors résidence ». Les gars s’ennuyant ferme dans ce coin très à l’écart, ont coutume d’aller passer un moment avec les occupants de la maison du PN 1 de la route de St-Nizier ; on y prend le frais ou on s’y réchauffe, selon la saison.
11H45 à la pendule Garnier. Tracté par la machine N°853 type 120, le train en provenance de Paray vient de s’immobiliser sur voie 2, à la grande satisfaction d’une quinzaine de voyageurs dont certains sont descendus du train de Chalon arrivé huit minutes plus tôt. La machine N°3116 type Bourbonnais renforcé (031) – une habituée de la ligne – sera dételée et envoyée au dépôt pour préparation et tournage, puis remise en tête en milieu d’après-midi pour regagner Chalon après correspondance avec le train Roanne-Paray. Le train pour Roanne va repartir derrière la machine N°853, ce qui permettra au train de « bricole » stationné à gauche de reprendre ses manœuvres.
C’est pour prévenir un éventuel retour du train blindé allemand à partir de Paray que le maquis de Chauffailles opère le 17 juillet 1944 la destruction de la travée avale du pont sur le Sornin, à la bifurcation de la ligne de Chalon. Les poutrelles du tablier amont, au second plan, n’avaient été que partiellement endommagées lors d’une première tentative perpétrée le 5 juillet précédent.
Le train blindé immortalisé par le film « La bataille du rail » n’est pas passé inaperçu lors de la traversée de la gare de Pouilly début juillet 1944, alors qu’il remontait sur Paray-le-Monial. Capturé près de Chagny (Saône et Loire) le 8 septembre suivant, le voici exposé en gare de Roanne en juillet 1946. Quelques jours après, il repassera à Pouilly pour gagner La Clayette, la ligne de Paray restant interceptée par les travaux de reconstruction du pont de Sornin. Acheminé pour être exposé à Paray (puis à Beaune et à Nancy), ce convoi très lourd fut tracté par la machine 040 C 63 épaulée par une 140 J en renfort de queue.
LES ANNEES NOIRES
Les trains de voyageurs sur Paray sont supprimés le 20 mai 1940, en application de mesures de coordination rail-route. A l’heure de la débâcle, ils sont rétablis en juin 1940 pour évacuer les réfugiés du Nord. Un train sanitaire équipé de voitures Pullman stationne à cet effet sur le faisceau de garage à côté du BV. Les événements s’accélérant, 133 trains passent dans les 3 jours et 2 nuits précédant l’arrivée des Allemands le 19 juin 1940. Le pont routier sur la Loire – ancien ouvrage suspendu datant de 1834 et reconstruit en béton en 1936-1937, saute ce jour-là à 13H15 sous l’action de sapeurs polonais du Génie. Furieux, les Allemands pensent un moment fusiller une vingtaine d’otages ! C’est par le passage à niveau qu’ils pénètrent en side-car sur le trottoir central pour prendre symboliquement possession de la gare.
La présence des Allemands au nord de la ligne de démarcation traversant la Saône-et-Loire, désorganise les trafics jusqu’en novembre 1942. Passé cette date, c’est toute la France qui est occupée. Peu fréquentée, la section La-Clayette-Clermain est alors déférée sur réquisition allemande dans l’hiver 42-43. Il en va de même pour les voies de garage 6, 8 et 10, entraînant la dépose d’une des 2 voies du tablier amont. La pénurie énergétique s’accentuant, relevons pour l’anecdote que la gare de Pouilly se voit attribuer par les Services Centraux des lampes à huile de colza « dans le cadre des économies de carbure de calcium ». Des maquis s’organisent par ailleurs dans le Charolais-Brionnais tandis que l’Hôtel-Restaurant Victor Jacquet (1880-1953), sur la Place de la gare, va jusqu’à cacher en 1943, cinq mois durant, deux agents de la Résistance, membres du Réseau Buckmaster.
L’été 1944 est celui de tous les dangers. Ne voit-on pas début juillet un train blindé allemand entrer en gare dans un silence surréel qui frappe les témoins, dont le jeune Georges Ceaux (1928-2022) dont le père tient magasin de cordonnerie en face du PN 19 ! Pendant que sa locomotive 050 A 33 carénée refait de l’eau, bon nombre de soldats torse nu se font dorer au soleil sur les tourelles de canons…
Directement liée à cet épisode est la destruction par le maquis de Chauffailles, du tablier aval (à voie unique côté Paray) du pont sur le Sornin le 17 juillet 1944 à 2H du matin (le 5 juillet, une première tentative n’avait fait qu’endommager le tablier amont à 2 voies côté Clermain). L’arrêt des circulations dure dès lors jusqu’au 2ème semestre 1946, temps nécessaire pour reconstruire l’ouvrage. Un service voyageurs provisoire est rétabli depuis 1945 jusqu’au service d’été 1947 sur la section Roanne-La Clayette aux fins de palier les difficultés de déplacement consécutives à la pénurie de carburant automobile. Ce service consiste à adjoindre une voiture ou deux au train de marchandises. Parallèlement, on met en marche un autorail Berliet du dépôt de Roanne pour assurer deux liaisons AR sur Roanne-Charlieu, ce qui facilite l’acheminement des ouvriers de l’Arsenal de Roanne. Les passagers descendent après Vougy, à hauteur de l’Allée Barlotty, et de là gagnent l’Arsenal à pieds. Cette desserte transitoire disparaîtra au service d’hiver 1946.
Après la suppression définitive des voyageurs au service d’été 1947, ne subsistent plus dès lors que les trains de bricole entre Roanne et Paray – « la ligne des retraités » – ainsi que sur La Clayette.
Cette nouvelle situation entraîne le remaniement du tracé des voies du 20 au 23 août 1949 : le dépôt est désaffecté – ses voies sont déposées – et transformé en garage pour la camionnette Renault du service VB conduite par le poseur Cherpin. Le pont-tournant de 14 m est démonté à son tour en septembre suivant et laissé à la disposition des Ateliers d’Oullins. Disparaît enfin la « Voie spéciale Chalon » placée devant le BV, ce qui autorise la dépose du tablier amont en mauvais état le 17 juillet 1954.
Des courants de trafic longtemps soutenus.
Pour situer les choses, on enregistre en 1893 183 000 tonnes de marchandises et 103 000 voyageurs sur Roanne-Paray, 37 000 tonnes et 65 000 voyageurs sur Pouilly-Clermain. Les années d’entre-deux guerres voient l’érosion de ces résultats suite à la concurrence de la route – laquelle récupère les voyageurs – et à la situation excentrée de ces lignes rurales. En 1936, on dénombre 25 485 voyageurs partis, 8337 tonnes de marchandises expédiées et 3946 tonnes reçues.
Le trafic marchandises connaît néanmoins une embellie après 1945. De fait, outre le train régulier Roanne-Paray et des facultatifs avec retour Haut-le-Pied, il faut compter avec le passage de nombreux trains lourds de charbon (« minette ») venant de Blanzy pour alimenter l’Arsenal de Roanne. La double traction est alors assurée par des machines de Paray : 040 B en fin de carrière, puis 140 B et 140 J. Plus modeste est en revanche la desserte de l’autre ligne, laquelle est confiée au « patachon » N°9609 partant de Roanne vers 4H du matin pour arriver à 11H30 à La Clayette où il y a repos, puis des manœuvres en gare l’après-midi, voire un facultatif sur l’antenne de Charolles. C’est une seconde équipe qui assure le N°9610 du soir à destination de Roanne. En décembre 1949, Saint-Maurice-Châteauneuf étant devenu fin de section, la machine 140 B de la desserte devenue 9601-9602 doit revenir tender en avant et ravitailler en eau à Pouilly.
La gamme des produits transportés reste large. En Petite Vitesse, les tuiles et boisseaux fournis par les usines de Pouilly et Briennon sont chargés en gare ou sur trucks-porteurs, à raison d’une douzaine par jour. On réalise des wagons complets offrant des tarifs spéciaux à prix réduit pour des charges minimales de 5 tonnes en boisseaux, tuyaux et poteries, de 10 tonnes en tuiles, briques et carreaux. Relevons que les cargaisons mises sur palettes sont disposées sur des plats appelés « cassins ». Le chef de gare y place ensuite des « mouchards » destinés à enregistrer les chocs durant le transport, ce qui permet aux clients victimes de bris de déposer des réclamations… Il y a aussi les wagons de bestiaux de Louis Thoral et de Julien Roche, les fourrages de René Lapilonne destinés aux chevaux des nombreuses mines stéphanoises…Ajoutons-y les sables et graviers de l’entreprise Bonnefoy installée au pied du pont de Loire côté Pouilly. Depuis les années trente, ils empruntent une voie étroite Decauville de 550 m de long sur laquelle circule une rame de 8 wagonnets tractés par deux chevaux. Leur contenu en est directement basculé dans les tombereaux PLM grâce à une estacade en bois parallèle à la voie 7 sur le débord de la cour des marchandises. De son côté, la Grande Vitesse est surtout alimentée par les usines textiles. Citons pour l’exemple la bonneterie Berthelier de Saint-Nizier, laquelle fournit chaque jour des années 1960 des montagnes de colis dans l’ancienne salle d’attente du BV : on y circule alors entre deux murailles !
Pour l’anecdote, mentionnons le bref retour des voyageurs au guichet de la gare, du 20 septembre 1988 à février 1989 ! C’est que, durant cette période, notre gare délivre des billets TGV pour la desserte cordonnée rail-route entre Roanne et Paris via Le Creusot, le car SNCF marquant l’arrêt devant le BV.
C’est finalement le 31 mai 2005 que tout trafic cesse suite à la décision prise à Paris de fermer la gare de Roanne au fret.
Une cavalerie de locomotives des plus éclectiques.
En 1924, la machine N°3433 (immatriculée 230 A 33 en 1924) vient d’arriver en tête du train de Chalon de 11H12. Bien adaptées aux services mixtes grâce à leurs roues d’1,65 m, ces locomotives surnommées « biquettes » furent les reines de la ligne durant plus de trente ans. On note les tôles unissant cheminée et dôme, vestige de la célèbre esthétique « coupe-vent » qui comprenait à l’origine un carénage sur la porte de boite à fumée. A l’arrière plan se détache le cul du tender d’une autre 230 A effectuant les manœuvres du train de « bricole » à destination de Paray.
Devant être par excellence aptes aux services mixtes, les machines sont vouées à des vitesses commerciales de 35 à 50 km/h, ce qui n’exclue pas pour autant quelques pointes à 70 km/h. Elles sont fournies par les dépôts de Roanne, Chalon et Paray.
On recourt à l’origine aux 030 Bourbonnais, machines emblématiques du réseau PLM (série 1401-2457), robustes et économiques. Il y a aussi des engins type 120 (série 824-930), 121 (série 111-400). En 1919 apparaissent même des Grosses C type 220, machines chassées des grandes lignes par les Pacific. Munies de roues de 2 m, elles comportent encore un indicateur de vitesse à colonne liquide graduée en km/h, type Stroudley. Cet appareil permet de constater le dépassement de la vitesse limite par le débordement d’un liquide indélébile. Incorporées dans un roulement avec repos à Cluny et retour, elles s’accommodent très mal des courbes serrées et des arrêts fréquents.
Les années 20 à 40 voient le règne presque sans partage des 230 A ou « biquettes », au point qu’on les trouve encore en tête du MV sur La Clayette en 1945-47. Vient ensuite le temps des 140 B à tenders courts de 16 m3, un peu « fouetteuses » dans les courbes, et des 141 B ou « Jacob » ; on engage aussi les 140 J et 242 TC de Paray . Une fois tirée la révérence de Dame vapeur, c’est un diesel BB 63 000 qui prend le relais de 1960 à 1972, puis un locotracteur Y fourni par le Service Exploitation de Roanne.
Les deux lignes, même si elles ne présentaient pas de difficultés majeures, n’en constituaient pas moins des petits bouts du monde pour les mécaniciens titulaires. Ils faisaient quasi les yeux fermés ces tournées réputées tranquilles, mises à part les fastidieuses manœuvres dans les gares. C’était là toute une ambiance : à Pouilly comme dans les autres gares, chaque mécanicien jouait du sifflet à sa manière et les gardes des PN et agents de la gare les identifiaient à l’avance, tels Morin sur sa 140 B7, Vallier sur sa 140B 50, ou Larochette sur sa 140B 176.
Fermetures : Ligne de Chalon : Section Pouilly à Clermain fermée aux voyageurs dès le 2 octobre 1938, le 20 mai 1940 sur Paray. Le 4 janvier 1943, fermeture aux marchandises sur La Clayette-Clermain, le 18 décembre 1949 pour Saint-Maurice-Châteauneuf à La Chapelle-sous-Dun. La section La Chapelle à La Clayette résiste jusqu’au 1er août 1966, bien que les mines de charbon aient cessé tout trafic depuis le 1er août 1960. La section Charlieu à Saint-Maurice ferme le 1er avril 1972.
Ligne de Paray : Section Pouilly à Iguerande fermée aux marchandises le 28 mai 1972 et Iguerande à Paray le 1er juin 1987. Déclassements : La Clayette à Clermain le 12 novembre 1954. De Saint-Maurice-Châteauneuf à La Chapelle le 13 février 1964.
De La Chapelle à La Clayette le 26 juillet 1968. De Charlieu à Saint-Maurice-Châteauneuf le 26 juillet 1973.
Dépose des voies : En juin 1964 de Saint-Maurice-Châteauneuf à La Chapelle ; en 1970 de La Chapelle à La Clayette ; été 1976 de Charlieu à Saint-Maurice ; hiver 1996-1997 d’Iguerande à Paray ; hiver 2014-2015 entre Charlieu et Pouilly (jusqu’au PN 16 des Rives) ; automne 2016 Pouilly-Iguerande ; juillet 2021 du PN 16 à la limite de Vougy (PK 15,8) ; janvier-février 2024 du PK 15,8 au PK 12 des Trois Moineaux à Vougy.
Du train au vélo-route.
L’imposant BV de la gare, vendu fin 1996 et rénové (il est scindé en plusieurs appartements), vit encore passer un train de desserte restreinte destiné aux deux derniers clients : les ferrailles Brossette à Pouilly jusqu’en 2003 et surtout l’usine Loire Record à Charlieu (grues Potain) jusqu’à la fermeture au Fret de la gare de Roanne le 31 mai 2005.
Suite à de complexes dossiers de financement montés par les Conseils départementaux et les Régions, la disparition de la ligne s’est effectuée en plusieurs étapes : commencée en Saône et Loire en septembre 1996, la voie verte est rendue opérationnelle d’Iguerande à Saint-Martin du Lac en 2009, puis prolongée jusqu’à Marcigny en 2011, Montceau-l’Etoile en 2013, Saint-Yan en 2015 et Paray le 26 mai 2018.
C’est finalement le samedi 23 juin 2018 qu’est inaugurée la voie verte ou « Véloire » reliant Pouilly à Charlieu et à Iguerande, la connectant ainsi avec Paray-le-Monial. L’itinéraire se prolonge jusqu’au port de Roanne en suivant le chemin de halage depuis Briennon. L’ensemble est parfois présenté comme le maillon central d’un grand axe cyclable devant relier un jour Bordeaux à la Suisse ! Son succès est incontestable si l’on en juge pour 2022, hors période estivale, la moyenne de 350 passages quotidiens entre Charlieu et Roanne, chiffre porté à 1100 passages quotidiens en juillet et août, avec un pic à 2000 le 8 août !
A l’été 2024 enfin, la voie verte est prolongée jusqu’à Vougy en direction de Roanne et de Charlieu à Saint-Denis de Cabanne.
Frédéric Toublanc, textes et photos.
Remerciements aux témoins : Gabrielle Berthelier (+), Irma Brossette, Fernand Besson (+), Georges Ceaux (+), Jean Mont (+) ; à Maryse Cartier (Secrétaire de Mairie) et à Robert Foirien (documentation).